Dans son rapport paru en juin 2023, « Du sens à l’ouvrage », Jean-Baptiste BARFETY, le collectif de DRH du Projet Sens reviennent, grâce à la participation de 130 personnes interrogées, sur ce qui fait sens aujourd’hui pour nombre de salariés, jeunes ou moins jeunes, dans des entreprises de tailles diverses.



Peut-être passé sous les radars de certains d’entre vous, j’ai souhaité mettre en avant ce rapport en cette fin d’année, car il devrait selon moi éclairer nos stratégies RH pour les années à venir. Mais pas seulement les stratégies de marque employeur qui peuvent être vues comme une déclinaison des politiques RH visant à l’engagement des collaborateurs.

On peut d’ailleurs également faire le lien avec cette étude de l’INRS sur les modalités de pilotage, enjeux de santé et de sécurité au travail présentée le 20 novembre 2023 et qui fait un état des lieux des modèles d’organisation depuis un siècle avec leurs conséquences sur la santé et la sécurité au travail.

En évitant de faire dans la paraphrase, ces études nous enseignent que, conjugué à une recherche toujours plus individuelle de sens depuis la perte d’audience des organisations structurantes (Eglise, Etat, partis, syndicats…), le phénomène de désengagement s’est amplifié avec la taylorisation galopante des services, après avoir touché la production. L’entreprise bureaucratique, qui sépare les tâches de conception des tâches d’exécution, contribue grandement à la perte des repères et de sens, même si l’écart entre le travail prescrit et la réalité est déjà un espace pour s’engager.

Les récompenses matérielles ne suffisent plus à entretenir l’engagement, et on a vu fleurir ces dernières années les artifices douteux du bonheur au travail. Or cette démission silencieuse est une réaction individuelle de protection au déséquilibre perçu entre les efforts consentis et la reconnaissance que renvoie l’environnement de travail. C’est d’ailleurs aussi une réponse à l’exigence croissante de la demande d’engagement.

Le déséquilibre du marché de l’emploi a contribué à cette tentative de reprise de contrôle par les salariés et cette recherche touche aujourd’hui autant les publics qualifiés que moins qualifiés.

On a souvent coutume de définir le sens au travail comme le résultat de l’alignement ressenti entre ce qui se passe dans l’organisation et ce qui est vécu et attendu par le salarié. Il se définit souvent en rapport à une cause plus grande qui dépasse son propre intérêt individuel. Mais la raison d’être déclamée de manière incantatoire par bon nombre d’organisations ne suffit clairement pas, si une déclinaison cohérente et un alignement des actes avec le discours n’est pas perçue par chacun. Il y a donc là une demande d’exemplarité et d’éthique faite à ceux qui gouvernent (Etat, entreprises, associations…) et le moindre signe d’iniquité voire d’injustice porte atteinte au sens au travail.

Si on en revient à la question des modèles d’organisation, il est assez clairement démontré que la division du travail cause la ruine de l’esprit du travailleur ; l’apprentissage régulier, la complétude des missions, le fait de relier ce que l’on fait avec une finalité produisent sens et reconnaissance que l’approche scientifique du travail a annihilé. L’envahissement des processus de gestion, l’infantilisation et le contrôle permanent des organisations bureaucratiques sont le terreau de la démission silencieuse, du désengagement, et de manière intergénérationnelle.

Le processus de gestion produit le même effet que le GPS en voiture, cette incapacité à refaire le même chemin sans l’outil, faute de mémorisation, d’analyse et de contextualisation des actions.

Le rapport de Jean-Baptiste BARFETY relève que 42% des cadres de moins de 35 ans ont démissionner dans les 2 ans suivant leur prise de poste, invoquant comme première raison le décalage entre la description du poste et la réalité rencontrée. Certainement accentué par le marketing RH de ces dernières années, le phénomène s’illustre aussi par la proportion de salariés qui pensent donner plus qu’ils ne reçoivent, passant de 25% en 1993 à 48% en 2022. Cette reconnaissance, vue comme du carburant pour l’engagement, a été mise à mal par le télétravail, le repli sur soi et la dégringolade du collectif. Nous avons oublié que l’homme est un animal social !

En conclusion, je reprendrai intégralement celle de l’étude, formulée par un universitaire : « Il n’y a pas de véritable progrès sur le sens au travail, parce que les entreprises se sont saisies du sens avec la raison d’être, mais pas du travail, alors que tout l’enjeu est d’articuler le travail, l’entreprise et l’impact. Il faut retrouver un alignement entre ce qui est produit et la manière de produire, qui a été rompu par la financiarisation. […] Nous sommes dans des stratégies perdantes de surconsommation des ressources, car on ne fait plus le lien avec le travail réel. Notre société hyper productive ne se soucie pas assez de ses producteurs. C’est par pragmatisme que la question du sens au travail se pose. Parvenir à vivre malgré les problèmes croissants de sécheresse et de chaleur, ce sont des questions résolues dans le travail. On ne peut pas faire d’impact sans mettre le travail au cœur de la démarche. ».